Zum Konzert am 26. April 1986 in Strasbourg


Dernières Nouvelles d’Alsace, 29. April 1986

Au Palais de la musique

Fischer-Dieskau a bouleversé son public

Il y a une vingtaine d’années lorsque le festival de Strasbourg fit appel à Fischer-Dieskau, le chanteur s’avançait sur l’estrade, soulevé par une houle de joie. Avant même d’ouvrir la bouche, un consentement général lui paraissait acquis. Fallait-il en déduire qu’il avait déjà gagné la partie ?

Les moyens vocaux de Fischer-Dieskau atteignaient leur apogée. Le nom du chanteur à lui seul enflammait les imaginations. Bien mieux il envahissait les cœurs. Ceux des auditeurs qui ne le connaissaient que de réputation, avaient entendu ses enregistrements. Mais c’est en écoutant dans une salle qu’on s’avise à quel point l’âme humaine est un puits mystérieux et profond.

Ne pas croire que l’artiste est exactement le même qu’il y a une trentaine d’années et qu’il trimbale de salle en salle un disque qu’il fait tourner pour la centième fois. Aujourd’hui, comme hier, Fischer-Dieskau creuse chaque Lied avec ce tourment de perfection qu’il n’a cessé de cultiver. On a gardé de lui le souvenir d’un interprète qui, le soir du concert élève le style à la hauteur d’un culte.

Autrefois les grincheux pouvaient tout juste se plaindre que la mariée était trop belle. On conviendra qu’elle ne l’est jamais trop. Quel privilège d’avoir entendu Fischer-Dieskau dans la force de l’âge et dans sa plénitude.

Devant un talent unique qui confine au génie, on peut se demander quelle place occupent les facultés qui nourrissent ce talent. C’est alors qu’on reporte sur la science l’intérêt qu’il suscite. Pour le plus grand nombre, il suffit d’éprouver la beauté sans en rechercher les causes. Toutes les études consacrées à la science du chant se sont évanouies, tant elles diffèrent les unes des autres.

Dans l’ordre de la curiosité vocale, on n’a pas fini de scruter, pas plus que dans l’ordre de la psychologie. Mais l’auditeur, c’est plus fort que lui, tient à connaître la vie des Artistes. Ce supplément d’information peut lui apporter un surcroît d’émotion, à condition qu’elle ne se confonde pas avec une illusion.

Lorsque Fischer-Dieskau interprète ce « voyage d’hiver », jailli d’un cœur meurtri, il fait accéder les auditeurs à un univers qui n’est rien d’autre que le secret le plus intime de Schubert. Après une carrière qui s’échelonne sur une quarantaine d’années, il démontre que pour lui, l’expérience est toujours à recommencer, avec des moyens différents.

Mais pour marier la splendeur, la sensibilité et l’émotion, il n’a pas son pareil. Il suffit de l’écouter, en y associant Hartmut Höll pour s’en convaincre. Bénéficiaire des mêmes droits, ce pianiste est astreint dans son domaine aux mêmes devoirs que le chanteur. Les deux se rejoignent dans une telle unité, un tel écho fraternel que nul ne songerait à les dissocier. Si Schubert avait entendu son « Winterreise » dans cette version, il aurait persuadé Fischer-Dieskau qu’il venait de lui rendre le plus émouvant des hommages, le plus grand bonheur accordé à son destin créateur.

Des acclamations ferventes se sont prolongées, à n’en plus finir. Mais les récitals les plus sublimes, au même titre que les meilleures choses, ont une fin.

ZED

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