Zum Konzert am 5. November 1969 in Paris


Le Figaro, Paris, 7. November 1969 

Fischer-Dieskau

Pour remplacer Wolfgang Sawallisch, souffrant, l’Orchester national avait fait appel à Lorin Maazel (Théâtre des Champs-Elysées). Mince comme un crayon, leste comme un jockey, précis comme une règle de trois, cet excellent chef fait très certainement le bonheur de la troupe qu’il dirige, car il est de ceux qui aident à jouer – alors que certains autres vous en empêchent carrément. Est-il un musicien lyrique, le émois du romantisme lui sont-ils destinés? C’est une autre affaire. Pour ne prendre qu’un exemple, je dirai que le prélude de Lohengrin, sous sa baguette et sous les archets du quatuor, manque du caractère irréel, mystique et transparent, qui est justement son caractère. C’est ailleurs que j’apprécie son grand talent et je suis sûr par avance qu’il nous donnera le 19 novembre un Enfant et les sortilèges à la fois minutieux et poétique, de la veine de celui qu’il nous offrit voici quelques années, à la tête de la Société des concerts du Conservatoire.

Dietrich Fischer-Dieskau était, à ce même concert, l’interprète des Kindertotenlieder. Il s’y est montré merveilleux d’art et, plus encore d’âme. Il y a d’aussi belles voix – de plus puissantes aussi – de par le monde, mais j’en sais peu qui vous prennent tout entier comme celle-là. Et s’il est vrai que Fischer-Dieskau est mieux fait pour l’expression douloureuse que pour l’élégie à fluer de peau, le cycle de Mahler semble avoir été composé pour lui. Impossible de rendre plus insupportable la brûlure du chagrin. On sait que l’auteur du poème, Rückert, venait, quand il l’écrivit, de perdre ses deux enfants et que Mahler le mit en musique, mû peut-être par le pressentiment du malheur qui allait de frapper à son tour. Il y a là un réalisme dans la douleur, une telle horreur dans l’arrachement que seul un artiste – un homme – d’exception peut les traduire. Mahler donne tort à Alain, d’après qui « le thème de toute musique, c’est la peine, mais non pas agenouillée, relevée au contraire, et qui regarde au loin dans les perspectives jumelles du souvenir et de l’espérance ». L’espérance est morte et ce n’est pas de souvenir, mais de blessure à vif qu’il sàgit. Nous garderons longtemps devant les yeux de l’esprit l’image du géant torturé qui jouait les Prométhée dans son bel habit noir.

Clarendon

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